DG d’Engie : « il nous faut comprendre les algorithmes avant les autres si possible »

Isabelle Kocher, DG d'Engie, le 14 juin

Engie, leader mondial de l’énergie, est en pleine mue digitale. Les logiciels sont stratégiques, pas question de les externaliser, ils sont aussi précieux que l’air qu’on respire affirme sa DG, Isabelle Kocher qui a conquis son poste de haute lutte parmi les patrons du CAC40. Elle souligne qu’il faut comprendre les algorithmes avant ses concurrents si possible.

Transversalité

La révolution digitale impacte aussi l’organisation de son entreprise avec l’arrivée des jeunes générations. Elle entend introduire de la transversalité, du pair à pair, entre les collaborateurs et mettre fin au management « Top Down ». Elle a pris la parole à l’occasion de l’événement organisé par l’Idate, le 15 Juin à Paris.


« Les actionnaires sont en train de faire leur tri, pour savoir qui seront les acteurs clés de demain. Observez la variation des multiples. Il faut être vu comme capable de passer le cap. On ne peut pas continuer à opérer comme avant. Par exemple, nous ne produirons plus d’énergie à partir du charbon. On se prive d’une certaine croissance pour dégager des marges de manoeuvre. Nous allons vers l’énergie propre locale qui va avec la géothermie, le solaire avec du stockage, » décrit-elle.

Elle poursuit : « il va falloir équilibrer tout cela seconde par seconde sur de grands réseaux. C’est un monde de software dans l’énergie qui est devant nous en très grande partie, le digital, les datas, la capacité de comprendre les algorithmes avant les autres, si c’est possible, c’est clé pour ce repositionnement stratégique.  »

1,5 milliard d’euros d’investissement

Elle rappelle qu’Engie va investir 1,5 milliard d’euros en 3 ans dans les nouvelles technologies. Les actionnaires d’Engie ont accepté de couper leurs dividendes de un tiers pour cela. Elle a travaillé pour qu’ils raisonnent sur des horizons de temps supérieurs à ce qu’ils ont l’habitude de faire.

« Nous avons décidé de miser sur les plateformes. Nous sommes en train de créer une plateforme EngieTech, pour faire les business modèles de tout, une usine à licornes, une zone franche protégée de l’administration générale de l’entreprise, une zone où tout est disponible, » se félicite-t-elle.

Elle défend résolument le fait de conserver en interne le savoir faire sur les logiciels. « Il y a une usine à fabrication de logiciels à l’intérieur d’EngieTech pour développer à très grande échelle et nous approprier ce savoir faire du logiciel. L’objectif est de créer un écosystème ouvert aux startups et à l’interne. Le digital est indissociable de nos métiers. Un certain nombre de grands acteurs du software nous disent mais au fond ‘vous déléguez vos softwares ?’ Non, c’est aussi précieux que l’air qu’on respire. »

Autonomie et fin du top down

Cette démarche d’innovation logicielle s’accompagne d’un profond changement dans les modes de management en interne. « Nos collaborateurs veulent de l’autonomie. Ils ne supportent plus le leadership ‘Top Down’, ce n’est plus tolérable pour les jeunes générations. Ils attendent un leadership inversé qui leur permette de développer leurs idées, pour être exigeant, être souple, pour être ouvert, » observe-t-elle.

« Nos collaborateurs veulent de la transversalité. Ils font d’abord confiance à leurs pairs. Yves Le Gélard [NDLR : DSI et Chief Digital Officer d’Engie depuis quelques semaines ] aura déployé un réseau social en 6 mois de Santiago à Shanghai pour 100 000 personnes, un tiers de nos collaborateurs avec Jammer. Il y a un appétit pour cela, » se réjouit-elle.

Son objectif est de repenser les organisations traditionnelles. « Dans les grands groupes nous sommes tous confrontés au même défi, quand je discute avec mes collègues nous sommes tous confrontés à la même chose. C’est un gros projet de réorganisation que nous avons mené en quelques mois pour changer toute l’organisation. Aller vite est capital pour ne pas rester bloqué« , indique-t-elle.

Organisation géographique

La nouvelle DG a fait passer Engie d’une organisation par métiers, à une organisation géographique. « Nous avons supprimé des couches. Nous avons fait bouger des milliers de personnes, » décrit-elle.

Pour cela, elle a du consulter 88 instances représentatives. « Et nous y sommes arrivés. Même si ce n’est pas simple, quand on explique ce que l’on veut faire, je constate qu’il est possible de le faire, » tranche-t-elle, se positionnant à rebours des grèves actuelles qui bloquent une partie de l’activité économique de la France.

Engie a « rénové » ses 350 top managers. « Nous avons injecté 30% de sang neuf, avec plus de background industriel, et de la diversité dans la façon de penser, » pointe la DG. Elle reconnaît que les modes d’organisation traditionnels et les comportements habituels ne correspondent plus à ce que les clients d’Engie attendent. il lui faut construire ce que ses clients et ses collaborateurs attendent.

« Par exemple, dans le transport, ils ont besoin de souplesse. Ce ne sont plus des clients mais des partenaires, » présente-t-elle.

Changement climatique

Elle aura rappelé lors de son intervention que le premier changement, c’est le changement climatique. « Il change tout. Personne ne peut dire, ce n’est pas mon problème. C’est une invitation à repenser la façon dont nous vivons, à l’ensemble des secteurs industriels, à repenser leurs process industriels, » affirme-t-elle.

Elle observe que la société aspire à de l’horizontalité, à du « peer to peer », à de la transversalité, et que les gens disent qu’ils vont inventer leurs propres solutions. Elle estime désormais que des systèmes différents sont possibles. « Avec l’écroulement du prix du solaire, on peut imaginer de très grandes fermes solaires, dans certains pays, certaines de la puissance d’un EPR, ainsi qu’à petite échelle, chacun localement, » annonce-t-elle.

Elle souligne les progrès du stockage énergétique par batterie, par hydrogène auquel on ajoute l’internet des objets dont la puissance se démultiplie. « On peut aller sur quelque chose de différent. Des infrastructures énergétiques intégrées aux objets, pas aux clients, » dit-elle.

Elle déclare entrevoir la possibilité d’amener l’énergie à tout le monde de manière soutenable, même si cela prendra des années. « Il y a un besoin de transformation radicale pour tous. Pensez à la statistique qui montre que 5% seulement de l’essence d’un véhicule sert à transporter les passagers, le reste sert à transporter le poids de la voiture et les places vides, » pointe-t-elle. Elle entend être un leader des mouvements en cours.

Innovation incrémentale

L’internet des objets sera un des leviers d’action. « Pour gérer notre base installée, les capteurs sont un levier fondamental en termes d’efficacité économiques, c’est un levier fondamental, » insiste-t-elle.

Au-delà de la réalité concrète qui se manifestera ou pas sur le terrain, une partie de la déclaration de la DG d’Engie suscite des interrogations. Elle parle de transformer en licornes les innovations incrémentales découvertes localement par les équipes d’Engie. Habituellement, les investisseurs sont à la recherche d’innovations de rupture. Affaire à suivre.

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