Transformation digitale difficile : les avocats accusent de malversations un site de vente des décisions de justice


A qui appartiennent les décisions de justice ? Sur ce sujet, et quelques autres, le conflit est ouvert entre l’ordre des avocats de Paris et le site doctrine.fr.

L’ordre des avocats attaque en justice

Le 28 septembre, l’ordre des avocats de Paris a annoncé qu’il poursuit en justice la société Forseti, éditrice du site doctrine.fr. Il dénonce les pratiques pour constituer la base de données de décisions judiciaires du site doctrine.fr.


Doctrine.fr est une forme de détournement de l’Open Data

« Ne rien faire, c’est encourager une forme de pillage. L’ordre des avocats de Paris souhaite promouvoir un numérique propre dans son secteur,  mais il s’oppose à doctrine.fr comme à toute forme de détournement de l’Open Data » déclarent Marie-Aimée Peyron et Basile Ader, bâtonnier et vice-bâtonnier de Paris.

Les avocats pointent le fait que la société Forseti propose un accès payant à une base de données comprenant 7 millions de décisions judiciaires. « Or, ses dirigeants n’ont jamais justifié des conditions dans lesquelles ils ont accédé à des décisions qui ne sont pas accessibles au public » s’insurgent les avocats.

Usage de faux emails pour capter les contenus

Le barreau de Paris dénonce des pratiques de type « typosquatting », qui consistent à utiliser de fausses adresses mail de cabinets d’avocats, d’élèves avocats ou d’universités de droit pour obtenir la communication de décisions judiciaires par les greffes. « Ces pratiques portent atteinte aux intérêts individuels de plusieurs de nos confrères du barreau de Paris, et aux intérêts collectifs de la profession » poursuivent les avocats.

Y-a-t-il un outil informatique de captation massive des données ?

Le barreau de Paris s’interroge également sur l’existence d’un dispositif informatique ayant permis de capter massivement des décisions de justice annoncées comme disponibles sur le site doctrine.fr. Enfin, le barreau de Paris déclare ne pas accepter l’utilisation qui est faite de statistiques qu’il estime inexactes sur chacun de ses membres. L’Ordre indique que plusieurs avocats ont pris contact avec la société Forseti afin de solliciter la suppression de leurs informations personnelles accessibles sur le site doctrine.fr, mais que celle-ci y a opposé un refus. L’Ordre des avocats estime qu’il y a usurpation du titre d’avocat, usurpation d’identité, escroquerie, vol et maintien frauduleux dans un système informatique et recel pour certains des membres du Barreau de Paris.

De son côté, doctrine.fr prend note de la plainte annoncée par le barreau de Paris  et se dit être à la disposition des représentants du barreau et de l’autorité judiciaire pour les suites qu’elle souhaiterait y donner. « Nous regrettons de n’avoir, à aucun moment, été reçus ou entendus par les représentants du Conseil de l’Ordre, et ce malgré nos propositions répétées » affirme doctrine.fr qui estime regrettable que le principe du contradictoire ne guide pas l’action des représentants du barreau de Paris.

Rendre le droit intelligible pour les avocats

« Doctrine est au service des avocats. La mission de Doctrine est, depuis sa création, de rendre le droit le plus accessible et intelligible pour l’ensemble des professionnels de ce secteur, et en premier lieu les avocats » se défendent les dirigeants de doctrine. La société affirme avoir  développé des partenariats avec des juridictions afin de diffuser la jurisprudence. Elle a également investi dans le développement d’un moteur de recherche.

Les décisions de justice sont des informations dont la communication est libre

« Notre objectif est, et a toujours été, d’offrir aux avocats un accès toujours plus large à l’information, l’actualité et les données juridiques nécessaires à l’exercice quotidien de leur activité » reprend doctrine qui entend rappeler que « les décisions de justice sont des informations publiques, dont la communication et la réutilisation sont libres, contrairement aux affirmations du barreau de Paris ».

Doctrine.fr toutefois se prépare à des moments difficiles puisque ses dirigeants reconnaissent qu’ils assumeront leurs responsabilités pour les éventuels dysfonctionnements qui auraient pu survenir dans le cadre des activités de la société.

Open Data or not Open Data

Mais pour eux, il est hors de question d’accepter les accusations de « détournement de l’Open Data » ou de « pillage » portées par les représentants du barreau de Paris. « Loin d’être un détournement, notre réutilisation de ces informations publiques participe au contraire de l’essence même de l’Open Data, qui vise à accroître la transparence et la confiance des citoyens dans la justice » tranchent-ils.

La visibilité sur l’activité des avocats pose question

Doctrine.fr indique travailler depuis deux ans et demi sur son moteur de recherche juridique. « 80% de nos clients sont des avocats, dont  les deux tiers sont des avocats individuels ou de petites structures, et environ la moitié exerce à Paris » se défendent-ils. De même, ils contestent l’allégation de prétendues « statistiques trompeuses sur les avocats ». Ils estiment qu’ils proposent une représentation personnalisée du contentieux qui permet aux avocats d’offrir une meilleure visibilité à leur activité mais aussi d’élaborer une stratégie plus fine pour défendre leurs clients.

Doctrine avait présenté ce service de statistiques devant le barreau de Paris lors d’une conférence en novembre 2017. « Nous mettons en œuvre nos meilleurs efforts pour garantir la pertinence du panorama du contentieux disponible sur notre service, au regard des données publiquement disponibles. À ce titre, de nombreux avocats, clients ou non, nous transmettent d’ailleurs des décisions pour compléter ces pages et refléter au mieux leur activité devant les tribunaux. Nous sommes en contact régulier avec la CNIL pour assurer la conformité de cette représentation avec les règles applicables en matière de protection des données personnelles » réagit Nicolas Bustamante, Président de doctrine.fr.

Une négociation est-elle encore possible

Cependant doctrine.fr tente l’ouverture. « Nous maintenons notre invitation au dialogue afin de réfléchir ensemble aux moyens d’assurer la diffusion effective de l’information juridique nécessaire à l’activité des avocats. L’accès effectif aux décisions de justice nous semble en effet mériter un débat plus large afin d’assurer la transparence dans la justice et la confiance des justiciables » proposent les dirigeants.

60 salariés travaillent chez doctrine.fr

Doctrine a été fondé en 2016 par un juriste, un ingénieur et un mathématicien. Doctrine entend rendre l’information juridique accessible aux professionnels du droit. La startup dispose d’une équipe de 60 salariés, et annonce 1000 organisations utilisatrices de ses services : avocats, magistrats, directions juridiques d’entreprises et de collectivités territoriales.

Au 1er janvier 2018, on recense 67 000 avocats en France. Le barreau de Paris concentre à lui seul 42% de l’effectif total avec 28 145 avocats.

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