Recrutement : lutter contre les biais humains et algorithmiques grâce à la mise en situation

Patrick Leguide, DG de Central Test, 9 novembre (Photo Alper Dinçel)

En matière de recrutement, c’est l’association de l’humain et du digital qui doit permettre de prendre les bonnes décisions. L’un ne va pas sans l’autre. Toutefois, comment doser la part d’humain et l’intervention des outils numériques, qu’il s’agisse de tests ou d’outils prédictifs ?

Les biais introduits par l’humain et les algorithmes


Il faut tenir compte des biais cognitifs qui peuvent introduits aussi bien par l’humain que par les algorithmes. Contre les biais cognitifs de l’intuition, le garde-fou c’est la mise en situation, qu’elle soit réelle ou virtuelle,  propose Patrick Leguide, DG de Central Test, société qui propose des tests de recrutement. L’objectif est par exemple d’éviter les dérives qui ont été vécues avec le système de recrutement prédictif du géant du e-commerce Amazon qui s’est révélé sexiste à l’usage. Il s’agit également d’éviter la longue liste des biais introduits par le recruteur lui-même.

L’être humain doit prendre 35 000 décisions par jour

Le DG a pris la parole à l’occasion de la matinale RH de MyRHline sur le thème « A-t-on toujours besoin de CV pour recruter ? », sous-entendu « Le recrutement prédictif est-il fiable ? », le 9 novembre à Paris. Les biais cognitifs naissent de la contrainte. En pratique, « l’être humain doit prendre environ 35 000 décisions par jour, dès lors il simplifie sa sélection », pointe Patrick Leguide.

Face à une pile de CV, notre cerveau, fatigué de trier, met en place des raccourcis. Par exemple, « nous sommes influencés par l’avis des autres recruteurs et, par peur du conflit, nous avons tendance à nous ranger derrière leur décision » retient le responsable. C’est le biais d’influence. Une façon de contrer ce biais est, quand il existe plusieurs évaluateurs, de faire en sorte que les évaluations restent confidentielles et de compiler les résultats après avoir recueilli tous les avis.

La séduction du candidat 

De même, le recruteur subit le biais de naïveté qui consiste à se laisser séduire par les belles paroles du candidat, ce qui a pour effet de désarmer son jugement critique. Quant au biais de confirmation, il l’incite à rester en accord avec sa décision. « J’ai recommandé tel candidat. Je vais minimiser ses lacunes pour ne pas me contredire » se dit-il.

Une bonne école de commerce synonyme de bon candidat est un biais

On trouve également le biais des stéréotypes qui vise à prendre des décisions en fonction de ses propres croyances. Ce biais est soumis à la loi contre les discriminations. Enfin, il y a le biais d’information qui guide le recruteur dans son choix. « Si tel candidat vient de telle école de commerce, le candidat est forcément bon » peut-on résumer.

Notre intuition pourrait donc être peu fiable puisqu’elle est à l’origine de ces biais cognitifs. Pourtant, elle régit la plupart de nos décisions, en confrontant la situation actuelle à l’ensemble des expériences passées. « L’intuition fonctionne comme une machine prédictive avant l’heure » présente Patrick Leguide.

Equilibrer le rationnel et l’intuition

Notre cerveau utilise l’intuition et le rationnel ensemble, selon les situations. Par exemple, le côté rationnel du cerveau met en place des critères de décision basés sur le nombre d’années d’expérience mais ce critère est lui-même le fruit de résultats statistiques ou de notre intuition.

Le cerveau détecte quand il est trop dans l’intuition ou trop dans le rationnel

Afin de lutter contre les biais, Patrick Leguide reprend la théorie sur la psychologie du jugement de Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel d’économie en 2002. Cette théorie a été reprise par la suite sous le terme de méta intelligence. Selon cette théorie, le cerveau détecte quand il est trop dans l’intuition ou trop dans le rationnel et il ajuste ses décisions en conséquence.

Patrick Leguide remarque au passage que c’est cette théorie qu’Amazon aurait dû appliquer pour éviter que son système de recrutement ne soit pointé du doigt comme étant sexiste. En effet, son système prédictif était basé sur l’analyse des profils « performants » d’Amazon. Les hommes étant plus souvent promus, l’algorithme en avait conclu qu’il était préférable d’embaucher des hommes.

La mise en situation réelle ou virtuelle

En complément, une étude de Marc Murphy de 2012, également citée par Patrick Leguide montre qu’un recrutement sur deux ne dépasse pas la période de 6 mois et que, dans 90% des cas, les échecs sont liés non pas à des compétences techniques mais comportementales.

La mise en situation évalue le candidat dans des conditions proches de la réalité

C’est ce qui justifie l’utilisation d’outils objectifs comme les mises en situation, qu’il s’agisse de simulation virtuelle ou réelle, propose Patrick Leguide.  « Les mises en situation permettent d’apprécier le comportement du candidat dans des situations proches de la réalité » décrit-il.  Pôle emploi utilise cette méthode depuis plusieurs années, dit-il, dans certaines situations de recrutement à la place des CV.

Les tests de personnalité peuvent être également utilisés pour éviter les cas de discrimination en tentant d’objectiver les critères de recrutement. Les tests de personnalité sont toutefois à manier avec précaution. « Il est important que le recruteur sache bien les interpréter pour qu’ils ne soient pas contre-productifs » prévient le DG. S’ils sont bien utilisés, ces tests peuvent être utilisés pour mieux gérer le parcours du salarié dans l’entreprise, pense-t-il.

Les algorithmes meilleurs à 25% que l’humain

Enfin, l’intelligence artificielle a fait son apparition depuis quelques années. A partir de données conséquentes, le Machine Learning (Apprentissage automatique) permet d’analyser les CV et de recommander certains traits de personnalité. Une autre étude d’Hoffman Kahn publiée par la Harvard Business Review, démontre que les algorithmes augmenteraient de 25% les chances de choisir le bon profil par rapport à l’utilisation de son instinct seul, relève Patrick Leguide.

En conclusion, il estime qu’il vaut mieux utiliser une approche multi-critères qui consiste à recueillir plusieurs indices qui jouent entre eux le rôle de garde-fous pour éviter les erreurs. « Nous avons toujours besoin de notre intuition et les outils d’intelligence artificielle viennent nourrir la discussion » résume Patrick Leguide. Le plus important est cependant en amont, avant de rencontrer le moindre candidat, car il est impératif de définir correctement les compétences attendues pour le poste.

Sandrine Baslé

Sandrine Baslé est spécialiste de la relation client, du marketing et de la vente de services. Ancienne d’Ipsos et de l’Institut CSA, elle a conduit de nombreuses missions de conseil dans le cadre de changement de culture d’entreprises. Elle a été avocate puis correspondante à Londres du journal Service News. Elle est également enseignante en marketing, études de marché et communication à l’IIM (Institut d’Internet et du Multimedia) et à TBS (Toulouse Business School) et directrice associée de Qualiview conseil.

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